TEXTES
Rencontres improbables
L’angle farceur
Jouer avec le hasard n’est pas, pour un photographe, une opération
contre-nature. Au contraire. L’appareil qu’il tient entre
ses mains se prête avec souplesse aux jeux voluptueux de l’instantané.
Ouvert. Fermé. La part de seconde est happée. Le moment
magique est dans la boite.
Mais si l’outil est fidèle et sûr, le hasard, lui
n’en fait qu’à sa tête. Le jeu n’est
donc pas si facile. Et il faut au photographe, placé entre la
boite noire et la vie qui va et qui vient, certaines qualités
qui feront de lui l’intercesseur idéal entre le hasard
malicieux et nous, pauvres aveugles au pays des milles et une vision.
Bernard de Tournadre a ces vertus qui permettent de convoquer le hasard.
Une longue pratique de baladeur voyeur. Le regard affûte. La visée
juste. L’art de la composition dans le cadre. Et à toutes
ces qualités de traqueur d’insolite il faut ajouter un
sens de l’humour qui est chez lui une seconde nature et qui lui
fait deviner ce qui fera image cocasse au coin de la rue.
Si le résultat photographique de ces instants piégés
était seulement une tranche de hasard saugrenu, nous resterions
dans l’anecdote. Dans le gag visuel. Mais il y a un art du hasard.
Une matière indéfinissable de dépasser, ici sur
le registre comique, la simple transcription du langage rieur des rencontres
inopinées, des coïncidences joyeuses, des beautés
fantasques de la vie ordinaire. Car les images de Bernard de Tournadre
ne manquent pas d’élégance. Elles surprennent, amusent,
font sourire, mais toujours avec le raffinement d’un amoureux
de la lumière. Toujours avec la poésie tendre d’un
amoureux de la vie.
Trottoirs, vitrines, affiches, cabines téléphoniques,
ponts, statues, il n’y a rien d’extraordinaire dans ces
décors de notre quotidien. Et pourtant chaque jour le hasard
fantasque s’amuse avec nos gestes et avec nos images. Bernard
de Tournadre est de ceux, rares initiés, qui déchiffrent
pour nous le langage subtil de cet incorrigible plaisantin. La vie n’est
pas une facétie. Mais Bernard de Tournadre, devin de l’inattendu
et traducteur de la comédie visuelle, préférera
toujours les angles farceurs aux angles morts.
Yves GERBAL
Les figurants de Cannes
La photographie est image de son temps. Nadar et ses noirs portraits
d’écrivains du XIXe siècle. Atget et son Paris des
années-folles. Doisneau aux figures baignées dans une
espèce d’éternité d’avant - et d’après
– guerre. A-t-on assez réfléchi au formidable mimétisme
qui date chaque épreuve photographique ? Non que son actualité
rende l’image caduque ; bien au contraire, elle est à ce
point fille du temps que c’est toute une époque qui renferme
et délivre le prisme instantané de sa surface. C’est
à une époque que le déclic ramène, comme
par absorption, tout le présent. L’œil du photographe
se fait ainsi le véritable éphéméride de
son imaginaire. C’est qu’avec la photo, la vie entière
est devenue une grande scène. Plus ciné que théâtre
! Un peu moins Shakespeare qu’Hollywood ! Bernard de Tournadre
l’a bien compris. Et comme tous les amoureux du cinéma,
il craque pour la grande époque. Celle des stars vêtues
et dévêtues. Des producteurs à cigare. Pygmalion
faisant et défaisant d’un décolleté vertigineux,
d’un sourire de louve, d’une voix, ces destins de rêve
auxquels s’accrochaient nos rêves de destinée…
L’époque (la grande !) des enfilades de plateaux en carton-pâte,
des atmosphères-stéréotypes. D’un bout de
ciel, d’une façade, d’une romance naissaient, de
la grande fabrique d’Universel, l’Amour, la Guerre, la Générosité.
Époque à peine croyable où les hommes ayant perdu
le pouvoir de forger des dieux avaient encore gardé celui de
créer des rêves. Et quand bien même les grands studios
sont morts, il reste la vie. La vie heureusement fabrique toujours son
cinéma. Surtout que depuis Cannes, le cinéma fait son
quotidien dans la rue et il aime rien tant que ça Bernard de
Tournadre. Trente ans qu’il photographie Cannes photographiant
le cinéma. Cinéma du cinéma. Une fois par an. Quinze
jours durant. Depuis trente ans. Du quotidien. Ici un drame. Là
une farce. Mélange de visages connus et d’anonymes. De
grands et de petits. Stars et starlettes. Tous les horizons. Tous les
rayons. Toutes les tailles. Tous les genres. Sur quelques centaines
de mètres. Entre Carlton et Palais Croisette, long traveling
permanent qui reflète scène et coulisses. On y joue le
quotidien du rêve. Le rêve au quotidien. De l’une
à l’autre, on passe comme à travers un miroir sans
tain. Les affiches déroulent leurs faits divers. Incroyables
mais vraies, ces palpitantes aventures défient scénarios
et castings. Les rues déversent de faux incognitos en quête
de gloire. Et le long de la mer, les flashes enfantent plus d’Aphrodite
que d’écume. A Cannes tout a un nom. Et à défaut
de visage, un corps. Même l’anonymat. C’est pourquoi
le dictionnaire, sans doute, admettra quelque jour cannois pour figurant.
Michel VIGNARD, Écrivain et critique littéraire
Bikers variations
A l’heure de la photographie numérique Bernard de Tournadre
promène intacte depuis 30 ans sa passion pour les photos argentiques
en noir et blanc.
Il s’est penché avec humilité, talent et efficacité
sur le quotidien de celles et ceux qui roulent et vivent Harley Davidson.
Le résultat est excellent, car les américaines y sont
présentées comme l’instrument d’un art de
vivre avec son folklore, mais aussi et surtout avec la capacité
d’offrir à chacun la possibilité d’appartenir
à la famille des bikers. « Je n’ai pas le permis
moto, je n’y comprends rien avoue B de T. En plus je ne parle
pas anglais hormis quelques mots pour me nourrir… » A 56
ans, ce marseillais bon teint, professeur d’éducation physique,
déjà auteur en 2001 de « Corps en vue » aux
Editions Parenthèses, arpente ses terrains de chasse, «
armé de deux Leica M5, M6 et d’un vénérable
Rollei je vais à la rencontre des gens le plus simplement du
monde. C’est peut-être grâce à cela qu’ils
m’acceptent. »
Les périples de l’œil de B de T afin de réaliser
« Bikers Variations »ont commencé avec le siècle.
« J’étais allé à la Bike Week (semaine
de la moto) de Daytona au printemps 1999. Puis j’y suis retourné
en 2011. « L’année suivante, je me suis rendu à
Sturgis, l’un des rassemblement Harley incontournable. En 2003,
j’ai couvert, le rassemblement du centenaire à Milwaukee,
la Route 66 et la semaine de Laconia la plus ancienne concentration
Harley-Davidson de l’histoire. J’ai également sillonné
la France pour faire des portraits. »
Harley-Davidson ? C’est un phénomène mondial qui
touche des gens de toute origine.
Une expo à voir, un livre à s’offrir. Et à
déguster, assaisonné, de textes issus de la littérature
et notamment signés Che Guevara, Philippe Labro et Bob Dylan,
ici en bonne compagnie !
Charles-Bernard ADREANI - Journaliste
Carnavals du monde
L’origine du carnaval remonterait au 13e siècle. A cette
époque, la ville de Liège célébrait déjà
quarnivalle et les italiens Carnevale (Mardi Gras), période réservée
aux divertissements qui s’étendait du jour des Rois (Epiphanie)
au carême (mercredi des Cendres). Mais si cette joyeuse tradition
chrétienne est née en Europe, elle en a depuis longtemps
franchi les frontières et les plus chauds carnavals se déroulent
aujourd’hui, teintés de rites païens, sous les tropiques.
…Bernard de Tournadre ; grand amateur de réjouissances
collectives (Festival de Cannes, concentration de motards, etc…)
parcourt en effet le monde, dès que son métier d’enseignant
le lui permet, à la recherche de ces événements
qui réunissent des foules enthousiastes et parfois délirantes
? Qu’on les appelle carnaval, corso, fête du soleil, charivari
ou bataille de fleurs, toutes ces manifestations joyeuses aux quatre
coins du monde ont toujours en commun un défilé de chars
colorés, accompagnés de leur cohorte de déguisements
bariolés et d’accoutrements extravagants.
Le carnaval est donc un des sujets de prédilection de Bernard
de Tournadre et il en a déjà plus d’un dans sa besace
: ceux de Venise et de Rio bien sûr, mais également ceux
de Trinidad, de Martinique, de la Nouvelle Orléans, d’Oruro
en Bolivie et de Goa en Inde. C’est même à plusieurs
reprises qu’il en a couvert certains afin d’affiner toujours
un peu plus le sujet. Et s’il les photographie exclusivement en
noir et blanc c’est pour que la couleur ne pollue pas l’interprétation
personnelle qu’il en fait ; pour aller plus loin que le simple
témoignage.
Raphaël DUPOUY février 2001